A la sortie de l'hiver, le compte était loin d'y être : sur 10 gros poissons rouges, seuls 6 répondaient à l'appel. Cela m'avait étonnée car l'hiver avait été d'une douceur exceptionnelle et tous avaient déjà survécu à des températures bien plus négatives.
Jusqu'il y a un mois, les effectifs sont restés stables. Mais un matin, un nouveau poisson a été porté manquant. Un autre s'est volatilisé quelques jours plus tard, puis encore un autre. Cela commençait à faire beaucoup d'autant qu'aucune explication envisagée ne me semblait satisfaisante.
En l'absence de cadavres, la mort naturelle ou de maladie fut écartée. J'ai alors accusé chat, rapace ou autre carnassier sauvage.
Et puis, il y a trois jours, lovée contre la pierre chaude du banc, une couleuvre s'est laissée surprendre. Craintive, elle s'est rapidement enfoncée dans les profondeurs du bassin.
Il a fallu attendre la tombée de la nuit pour réussir à l'observer plus longuement.
Fine mais de belle taille (0.80 m environ), les écailles hésitant entre le brun et le gris, c'est assurément un beau sujet pour qui aime le peuple rampant ... ce qui n'est pas à tout fait mon cas.
Un ami pisciculteur m'assura que l'auteur des disparitions de poissons était trouvé mais que j'allais avoir du mal à déloger l'animal de la résidence 5 étoiles que je lui offrais sans le vouloir : un garde-manger aquatique offrant peu de cachettes à ses proies, une abondante réserve souterraine de viande fraîche, une végétation haute pour se reposer et se dissimuler, un banc de pierre pour se chauffer au soleil, une pile de bois où se débarrasser facilement de ses mues, un compost tout proche où pondre ses oeufs ...
Et même si mon ego se flatte d'avoir su créer un petit écosystème, inutile de préciser que je n'ai pas remis les mains dans le bassin et que je prends bien soin de faire vibrer le sol pour m'annoncer lorsque je m'assieds sur le petit banc de pierre.